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Observation XVIII de Robert Hooke (1665)

Voir aussi : Théorie cellulaire

Document d’origine sur le site Gutenberg (en anglais)

Traduction libre en français (©© byncsa – Cyrille Deliry – Histoires Naturelles) – Première partie de l’observation XVIII : le liège au microscope

Du schématisme ou de la texture du liège, et des cellules et pores de certains autres corps mousseux

J’ai pris un bon morceau clair de liège, et avec un canif aiguisé comme un rasoir, j’en ai coupé un morceau, ce qui a laissé la surface extrêmement lisse, puis en l’examinant très attentivement au microscope, j’ai cru percevoir qu’il semblait un peu poreux ; mais je n’ai pas pu les distinguer assez nettement pour être sûr que c’étaient des pores, et encore moins pour savoir de quelle figure ils étaient : mais jugeant, d’après la légèreté et la souplesse du liège, que la texture ne pouvait certainement pas être si curieuse, mais que peut-être, si je pouvais faire preuve de plus de diligence, je pourrais la discerner au microscope, j’ai, avec le même canif tranchant, coupé un morceau extrêmement mince de la surface lisse précédente, Je l’ai placé sur une plaque noire, parce qu’il s’agissait d’un corps blanc, et j’ai jeté la lumière sur lui avec un verre plan convexe profond, j’ai pu percevoir très clairement qu’il était perforé et poreux, un peu comme un rayon de miel, mais que les pores n’étaient pas réguliers ; pourtant il n’était pas différent d’un rayon de miel dans ces particularités.

D’abord, en ce qu’il avait une très petite substance solide, en comparaison de la cavité vide qui était contenue entre les deux, comme le montre plus manifestement (planche XI fig.1) apparaissent par les figures A et B. En effet, les interstitia, ou parois (comme je peux les appeler) ou cloisons de ces pores étaient aussi minces en proportion de leurs pores, que ces fines pellicules de cire dans un rayon de miel (qui enferment et constituent les cellules sexangulaires) le sont aux leurs.

Commentaires – Robert Hooke explique de manière précise son protocole d’observation et compare les objets observés à des rayons de miel.

Ensuite, ces pores, ou cellules (= cells), n’étaient pas très profonds, mais consistaient en un grand nombre de petites boîtes, séparées d’un long pore continu, par certains diaphragmes, comme le montre la figure B, qui représente une vue de ces pores divisés dans le sens de la longueur.

Commentaire – Il nomme cells ou cellules, sortes de pores, les objets qu’il observe au microscope dans sa coupe fine de liège.

  • Je n’ai pas plus tôt discerné ces pores (qui étaient en effet les premiers pores microscopiques que j’ai jamais vus, et peut-être même qui ont jamais été vus, car je n’ai trouvé aucun écrivain ou personne qui en ait fait mention avant cela) que la pensée que j’ai eue en les découvrant m’a fait entrevoir la véritable et intelligible raison de tous les phénomènes du liège ; comme…
  • D’abord, si je me demandais pourquoi ce corps était si léger ? Mon microscope m’informerait immédiatement qu’il y avait ici la même raison évidente qu’on trouve pour la légèreté de l’écume, d’un rayon de miel vide, de la laine, d’un fil, d’une pierre ponce, ou autres choses semblables ; à savoir, une très petite quantité d’un corps solide, étendue en de très grandes dimensions.
    Ensuite, il n’a pas paru plus difficile de donner une raison intelligible, pourquoi le liège est un corps si peu apte à aspirer et à boire l’eau, et par conséquent se conserve, flottant sur le dessus de l’eau, quoiqu’il n’y soit jamais resté si longtemps ; et pourquoi il peut arrêter et retenir l’air dans une bouteille, quoiqu’il y soit très condensé et par conséquent presse très fortement pour en sortir, sans souffrir que la moindre bulle passe à travers sa substance. Car, quant à la première, puisque notre Microscope nous informe que la substance du Liège est entièrement remplie d’air, et que cet air est parfaitement enfermé dans de petites boîtes ou cellules distinctes les unes des autres. Il semble très clair, pourquoi ni l’eau, ni aucun autre air ne peuvent facilement s’y insinuer, puisqu’il y a déjà en eux un intus existens (= existant au sein même), et par conséquent, pourquoi les morceaux de liège deviennent de si bons flotteurs pour les filets, et des bouchons pour les violes, ou autres vaisseaux fermés.
  • Et troisièmement, si nous nous demandons pourquoi le liège a une telle nature élastique et gonflante lorsqu’il est comprimé ? Et comment il en vient à subir une si grande compression, ou une pénétration apparente des dimensions, de sorte qu’il devient une substance aussi lourde et plus encore, volume pour volume, qu’elle l’était avant la compression, et qui pourtant subit un retour, s’étend de nouveau dans le même espace ? Notre microscope nous informera facilement que toute la masse consiste en une infinité de petites boîtes ou vessies d’air, qui est une substance de nature élastique, et qui subira une condensation considérable (comme je l’ai trouvé plusieurs fois par divers essais, par lesquels je l’ai condensé de la manière la plus évidente en moins d’une vingtième partie de ses dimensions habituelles près de la terre, et cela sans autre force que celle de mes mains, sans aucune sorte de moteur de forçage, comme des crémaillères, des leviers, des roues, des poulies, ou autres, mais cela seulement de temps en temps) et en outre, il semble très probable que ces mêmes films ou côtés des pores, ont en eux une qualité de ressort, comme presque toutes les autres sortes de substances végétales ont, afin d’aider à se rétablir dans leur ancienne position.

Commentaire – Robert Hooke déduit de son observation des explications précises des propriétés du liège. Notons au passage qu’il préfère la notion de « pore » à celle de « cellule » dans sa présentation. Ci-dessous, il pense que l’observation notamment microscopique devrait permettre de comprendre les propriétés de divers autres corps dont l’étude reste à faire.

Et si nous pouvions découvrir aussi facilement et certainement le schématisme et la texture de ces pellicules, et de plusieurs autres corps, que nous pouvons le faire pour le liège, il ne semble pas y avoir de raison probable du contraire, mais nous pourrions aussi facilement rendre la vraie raison de tous leurs phénomènes, à savoir, quelle est la cause de l’élasticité et de la dureté de certains, tant pour leur flexibilité que pour leur restitution. Mais jusqu’à ce que notre microscope, ou quelque autre moyen, nous permette de découvrir le véritable schéma et la texture de toutes les sortes de corps, nous devons tâtonner, pour ainsi dire, dans l’obscurité, et seulement deviner les véritables raisons des choses par des similitudes et des comparaisons.

Mais, pour en revenir à notre observation. J’ai tracé plusieurs lignes de ces pores, et j’ai trouvé qu’il y avait ordinairement environ soixante de ces petites cellules placées bout à bout dans la dix-huitième partie d’un pouce de longueur, d’où j’ai conclu qu’il devait y en avoir près de onze cents, ou un peu plus de mille dans la longueur d’un pouce, et donc dans un pouce carré plus d’un million, ou 1.166.400. et dans un pouce cube, plus de douze cents millions, ou 1.259.712.000. une chose presque incroyable, si notre Microscope ne nous l’assurait par une démonstration oculaire ; et même, s’il ne nous découvrait pas les pores d’un corps, qui, s’ils étaient diaphragmés, comme ceux du liège, nous fourniraient dans un pouce cubique, plus de dix fois autant de petites cellules, comme cela est évident dans plusieurs végétaux carbonisés. Les œuvres de la nature sont si prodigieusement curieuses, que même ces pores visibles des corps, qui semblent être les canaux ou les tuyaux par lesquels la succus nutritius, ou les sucs naturels des légumes sont transportés, et semblent correspondre aux veines, artères et autres vaisseaux des créatures sensibles, que ces pores, dis-je, qui semblent être les vaisseaux de nutrition du corps le plus vaste du monde, sont pourtant si petits que les atomes imaginés par Épicure ne seraient jamais assez grands pour y pénétrer, et encore moins pour y constituer un corps fluide. Et combien infiniment plus petits doivent être les vaisseaux d’un acarien, ou les pores d’un de ces petits légumes dont j’ai découvert qu’ils poussent au dos d’une feuille de rose, et que je décrirai bientôt plus complètement, et dont le volume est plusieurs millions de fois inférieur au volume du petit arbuste sur lequel il pousse ; et même cet arbuste, dont le volume est plusieurs millions de fois moindre que celui de plusieurs arbres (qui ont poussé jusqu’ici en Angleterre, et qui fleurissent aujourd’hui dans d’autres climats plus chauds, comme nous en sommes informés d’une manière très crédible), si du moins les pores de ce petit végétal gardent une telle proportion avec le corps de celui-ci, que nous avons trouvé que ces pores d’autres végétaux le font avec leur volume. Mais de ces pores, j’en ai dit davantage ailleurs.

Commentaire – Nous retiendrons ici le fait que les objets observés sont très petits et qu’il y en a un très grand nombre, passant le million au niveau d’un échantillon « macroscopique » de liège. Il pense notamment que les vaisseaux d’un acarien par exemple doivent être très petits.

Une puce illustrée dans le Micrographia planche XXXIV – Robert Hooke envisage des structures infiniment petites dans un tel animal

Le liège semble donc être, par la constitution transversale de ses pores, une sorte de champignon, car les pores sont comme autant de rayons qui tendent du centre ou de la moelle de l’arbre vers l’extérieur ; de sorte que si vous coupez un morceau d’une planche de liège transversalement, jusqu’au plat de celle-ci, vous fendrez, pour ainsi dire, les pores, et ils apparaîtront exactement comme ils sont exprimés dans la figure B de la planche XI. Mais si vous rasez un morceau très mince de cette planche, parallèlement à la plaine de celle-ci, vous couperez tous les pores transversalement, et ils apparaîtront presque comme ils sont exprimés dans la figure A, sauf que les interstitia solides n’apparaîtront pas aussi épais qu’ils sont représentés là.

De sorte que le liège semble se nourrir immédiatement de l’écorce sous-jacente de l’arbre, et être une sorte d’excroissance, ou une substance distincte des substances de l’arbre entier, quelque chose d’analogue au champignon ou à la mousse des autres arbres, ou aux poils des animaux. Et ayant enquêté sur l’histoire du liège, j’ai trouvé qu’il est considéré comme une excroissance de l’écorce d’un certain arbre, qui est distincte des deux écorces qui se trouvent à l’intérieur, et qui sont communes à d’autres arbres ; que c’est quelque temps avant que le liège qui recouvre les jeunes et tendres pousses ne devienne discernable. Qu’il se fissure, se déchire et se fend en plusieurs grands morceaux, l’écorce inférieure restant entière ; qu’il peut être séparé et retiré de l’arbre, et pourtant les deux écorces inférieures (telles qu’elles sont également communes à d’autres arbres) ne sont pas du tout blessées, mais plutôt aidées et libérées d’une blessure externe. Ainsi Jonstonus in Dendrologia, parlant de Subere (= liège), dit, Arbor est procera, Lignum est robustum, dempto cortice in aquis non fluitat, Cortice in orbem detracto juvatur, crascescens enim præstringit & strangulat, intra triennium iterum repletur : Caudex ubi adolescit crassus, cortex superior densus carnosus, duos digitos crassus, scaber, rimosus, & qui nisi detrahatur dehiscit, alioque subnascente expellitur, interior qui subest novellus ita rubet ut arbor minio picta videatur. Lesquelles histoires, si elles étaient bien considérées, et l’arbre, la substance, et la manière de pousser, si elles étaient bien examinées, confirmeraient, je suis très enclin à le croire, beaucoup ma conjecture sur l’origine du liège.

Commentaire – Jan Jonston ou Jonstonus (1603-1675) est contemporain de Robert Hooke. C’est un scientifique naturaliste né en Pologne qui migre en Ecosse où il réalise ses études. Il est l’auteur notamment d’une encyclopédie sur les animaux, mais étudie aussi les roches ou les végétaux.

Ce genre de texture n’est pas non plus particulier au liège ; car en l’examinant avec mon microscope, j’ai trouvé que la moelle d’un sureau, ou de presque tout autre arbre, la pulpe intérieure ou la moelle des tiges creuses de la canne de plusieurs autres légumes : comme le fenouil, les carottes, les bardanes, les cardes, le gaillet, certaines espèces de roseaux, etc. ont à peu près le même genre de schéma que celui que j’ai montré récemment pour le liège, sauf qu’ici les pores sont disposés dans le sens de la longueur de la canne, alors que dans le liège ils sont transversaux.

Commentaires – On dit souvent que Hooke a décrit les premières cellules jamais observées à partir ce celles du liège, mais ce qui est moins connu est le fait qu’il a observé d’autres cellules végétales dont il fait l’énumération ci-dessus. Ce qui paraîtra remarquable est la notion de généralisation de la structure cellulaire à d’autres végétaux ce qui préfigure déjà la Théorie cellulaire.

La moelle qui remplit la partie de la tige d’une plume qui est au-dessus de la paille, a à peu près le même genre de texture, sauf que de quelque côté que je mette cette substance légère, les pores semblent être coupés transversalement ; de sorte que je pense que cette moelle qui remplit la plume, ne consiste pas en une abondance de longs pores séparés par des diaphragmes, comme le fait le liège, mais qu’elle est une sorte d’écume solide ou dure, ou un conglomérat de très petites bulles consolidées sous cette forme, en un béton assez rigide et résistant, et que chaque caverne, bulle ou cellule, est distinctement séparée de tout le reste, sans aucune sorte de trou dans les films qui l’entourent, de sorte que je ne pourrais pas plus souffler à travers un morceau de cette sorte de substance, que je ne le pourrais à travers un morceau de liège, ou la moelle saine d’un sureau.

Mais bien que je n’aie pu, ni avec mon microscope, ni avec ma respiration, ni d’aucune autre manière que j’aie encore essayée, découvrir un passage d’une de ces cavités dans une autre, je ne puis cependant en conclure qu’il n’en existe aucune par laquelle la succus nutritius, ou les sucs appropriés des végétaux, puissent passer à travers elles ; car, dans plusieurs de ces végétaux, lorsqu’ils étaient verts, j’ai avec mon microscope, découvert assez clairement ces cellules ou pôles remplis de jus, et les faisant suer par degrés ; comme j’ai aussi observé dans le bois vert tous ces longs pores microscopiques qui paraissent dans le charbon parfaitement vides de toute autre chose que de l’air.

Commentaire – Robert Hooke a même observé des végétaux verts et voit que les cellules sont remplies de jus. Il découvre en conséquence en germe le cytosol ou « cytoplasme » des cellules. Contrairement à ce qui est rapporté, Hook n’a pas observé que des cellules mortes et vides.

Or, bien que je me sois efforcé avec une grande diligence de découvrir s’il y a quelque chose de semblable dans ces pores microscopiques du bois ou des pierres, comme les valves du coeur, des veines et des autres passages des animaux, qui s’ouvrent et donnent passage aux sucs fluides contenus dans un sens, et se ferment et empêchent le passage de ces sucs dans l’autre sens, je n’ai pu jusqu’ici rien dire de positif à ce sujet. Cependant, je pense qu’il est très probable que la nature a, dans ces passages, ainsi que dans ceux des corps animaux, de très nombreux instruments et artifices appropriés, par lesquels elle fait aboutir ses desseins et ses fins, ce qui n’est pas improbable, mais qu’un observateur diligent, s’il est aidé par de meilleurs microscopes, pourra en temps voulu détecter.

Commentaires – Ses recherches sont limités par la qualité de son microscope et Hooke prévoit qu’avec un meilleur matériel des découvertes restent à faire.

Et qu’il en soit ainsi, semble avec une grande probabilité être argumenté par les phénomènes étranges des plantes sensibles, où la nature semble accomplir plusieurs actions animales avec le même schéma ou organisation qui est commun à tous les végétaux, comme il ressort de certaines observations non moins instructives et curieuses qui ont été faites par divers membres éminents de la Société royale sur certaines de ces espèces de plantes, dont un compte-rendu leur a été remis par le très ingénieux et excellent médecin, le docteur Clark, qui, ayant la liberté qui m’a été accordée par cette très illustre société, je l’ai annexé ici.

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