La crise de la Biodiversité est en route et nous sommes les seuls à avoir le pouvoir de la ralentir…

Biodiversité

Nous nous représentons principalement les changements climatiques sous le trait de l’augmentation progressive des températures. Il apparaît de plus en plus clair que certains phénomènes vont par ailleurs s’amplifier sous l’effet plus ou moins direct des changements thermiques : tempêtes augmentées, submersions marines, fonte des glaces, déluges, les sécheresses et leur durée, ruptures de nappes phréatiques, feux intempestifs, fonte du permafrost… autant de phénomènes souvent amplifiés par les activités humaines comme bétonnage des territoires, prélèvements augmentés dans les nappes phréatiques, expansion démographique, production industrielle d’énergies renouvelables. Ce sont autant de facteurs qui sont d’ores et déjà identifiés comme venant aggraver la crise de la Biodiversité dont l’érosion est désormais irrémédiable. Cette crise est fortement entamée par d’autres phénomènes comme les prélèvements excessifs de la faune ou de la flore, les modifications et l’artificialisation des habitats, la pollution, l’utilisation de pesticides, l’appropriation par l’Homme des territoires naturels, dérangement, etc. Il ne fait pas bon être une espèce sur Terre désormais.

On s’imagine que les problèmes vont aller en augmentant et se traduire par une certaine continuité et régularité à mesure que les températures vont monter progressivement. C’est déjà nier l’impact subit des catastrophes météorologiques. Ainsi en France la tempête de 1999 n’a pas été sans effet sur la destruction du couvert forestier et les analyses de leur impact sur la faune et la flore sont très partielles. On a vu dans certaines régions les Moineaux disparaître subitement avant de reconstituer par la suite leurs populations. On remarque en premier chef ce qu’on voit et qu’on a l’habitude de voir.

L’année 2022 s’est traduite en France par un déficit pluviométrique exceptionnel, accompagné de fortes températures parfois sur de longues périodes. Nous avons constaté que les petites zones humides d’altitude n’avaient pas été rechargées en eau. Ceci est particulièrement problématique pour les Invertébrés dont le cycle de vie se déroule sur une courte période de l’année. De nombreuses localités se sont vidées de leurs populations de Libellules et dans divers cas l’espoir de recolonisation est vain sur le court ou le moyen terme. La Déesse précieuse (Nehalennia speciosa) a disparu de sa tourbière sans eaux depuis trop longtemps. On espère qu’elle ait trouvé refuge dans un coin inconnu de son unique station en France.

En plaine c’est la Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis) qui n’a pas pu réaliser son cycle sur ses localités. Dans les Deux-Sèvres elle ne reviendra probablement pas si facilement.

En définitive, c’est tout un cortège de Libellules de montagne qui s’est effondré subitement… et en réalité il suffit d’un seul cycle annuel sans eau pour que les espèces disparaissent. L’hypothèse est qu’actuellement nombre de tourbières des Monts du Forez, des Monts de la Madeleine ou du Massif du Pilat sont définitivement désertées par la plupart des Odonates qui les occupaient. L’espoir de retour est faible car il s’agissait de populations isolées d’espèces qui ne se trouvent par ailleurs parfois à plusieurs centaines de kilomètres de ces habitats. Les analyses ne sont pas faites. L’événement est si subit que nous ne pensons pas assez vite. Nous nous trouvons certainement devant le fait accompli et les préconisations de gestion hydrologique de ces habitats, venant a posteriori, devront probablement être associés à des réintroductions d’espèces si elles s’avèrent efficace pour maintenir de l’eau sur quelques stations auparavant humides.

Les têtes de bassin des rivières ou ruisseaux du Poitou sont asséchés une partie de l’année désormais : sécheresse et prélèvement de l’eau, notamment pour l’agriculture, s’additionnent pour contribuer à l’événement. C’est une catastrophe pour les Libellules, et je n’étudie pas les Éphémères plus que çà… nombre de cours d’eau sont subitement privés de leurs populations de Caloptéryx. Le retour pourra se faire par l’aval, si possible à court ou moyen terme dans ces cas. La désertion est subite et non le fait d’une disparition progressive des populations d’Odonates.

Les chercheurs malgré toutes leurs modélisations n’ont pas prévu ce type de disparition subit lié à un effondrement en quelques années, parfois une seule, par la multiplication des difficultés concentrées sur des sites fragiles et isolés. Les analyses et les relevés de terrain sont inadaptés par rendre compte suffisamment vite des mécanismes subits de disparitions. Toutefois les chercheurs sont en train d’entrevoir que les extinctions ne seront pas seulement progressives, mais le fait de disparitions brusques de populations ou d’espèces trop endémiques ou spécialisées dans leurs habitats. De telles disparitions se réaliseront selon les modèles de manière répétitive. Il s’agira d’extinctions brusques comme en marches d’escalier. Ainsi, à côté d’un fond d’extinctions séculaires aux courbes mathématiques élégantes se dessinent d’ores et déjà des phénomènes brusques et saccadés de perte de la Biodiversité par mort subite. On a calculé qu’à l’avenir ces mécanismes toucheront des secteurs entiers de la Planète et cesseront d’être localisés, voire trop anecdotiques pour les considérer. De telles situations brutales sont prévues avant 2030 dans les océans tropicaux et s’étendront aux forêts tropicales et aux latitudes plus élevées d’ici 2050.

La seule chose relativement imprévisible sur ce thème est la capacité ou non de l’humanité à réduire ses activités de manière raisonnées et à agir sur la conservation de la faune, de la flore et des habitats. En effet, s’il paraît désormais certain que la Biodiversité va s’effondrer, la principale inconnue est basée sur notre réactivité à limiter cet effondrement.

Jusqu’à quel point et à quelle vitesse serons-nous capables de tenter de sauver ce qui restera de la Planète ?

Cyrille Deliry – Niort, le 11 avril 2023

  • Deliry C. 2022 Les Libellules des Deux-Sèvres se meurent, la faute à pas d’eau. – Histoires Naturelles, The Blog, 19 décembre 2022. – ONLINE
  • Deliry C. 2022 – La Déesse préciseuse n’a pas été revue en France depuis 2019. – Histoires Naturelles, The Blog, 25 décembre 2022 – ONLINE
  • Deliry C., Noally L. & Ulmer A. (coord.) 2022Libellules et Demoiselles de la Loire. Atlas des Odonates du département de la Loire. – Groupe Sympetrum et FNE Loire : 256 pp.
  • Mayer N. 2020 Réchauffement climatique : la biodiversité est en grand danger d’extinctions massives et brutales. – Futura, 13 avril 2020. – ONLINE
  • Newbold T. 2018 – Future effects of climate and land-use change on terrestrial vertebrate community diversity under different scenario. – Proc. R. Soc. B., 285.
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