Donner des noms d’oiseau…

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« Même quand l’oiseau marche on sent qu’il a des ailes » – Lemierre (1723-1793)

La science des noms d’oiseaux n’est-elle pas l’étude des jurons et un domaine de la linguistique ?

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Un oiseau (n.m.) est un vertébré issu de dinosaures, couvert localement d’écailles et globalement de plumes, ovipare, à sang chaud, aux mâchoires édentées transformées en bec corné, très généralement adapté au vol par l’utilisation des membres antérieurs transformés en ailes. Les oiseaux sont des survivants de la crise Crétacé-Tertiaire survenue il y a près de 65 millions d’années, s’étant diversifiés au cours des ères récentes, phénomène amplifié par fluctuations glaciaires du Quaternaire, notamment dans les zones actuellement tempérées. En effet diverses espèces se sont distinguées lors de l’isolement des aires de répartition au cours des périodes les plus froides de la Terre.

Ce nom provient du bas latin aucellus et depuis avicellus provenant du latin classique avis. Tous ces termes désignent les oiseaux ou les petits oiseaux. On dit oisel au XIe siècle, oiseau dès le XIIIe1. En langage courtois du Moyen-Âge c’est la dame oiselle et le demoiseau, resté sous la forme demoiselle. Un oiseau aussi un dispositif pour transporter le mortier à dos d’homme (oiseau de limosin) ou une sorte de chevalet placé sur la pente d’un toit afin d’installer un échafaudage. Je n’ai pas recherché les motifs de rapprochement de ces objets avec les oiseaux… Dans la suite des objets, retenons que le bain d’oiseau désigne au Québec un petit récipient mis comme une baignoire pour les petits oiseaux. Au Québec encore, le pain d’oiseau ou pain de perdrix est notamment le Cornouiller du Canada qui porte de petits fruits rouges prisés par les oiseaux, certainement à rapprocher dans le sens, de l’arbuste – différent – appelé côté France, Sorbier des oiseleurs. Du métier obsolète d’oiselier nous est resté la notion d’oiselerie, à ne pas confondre avec un oiseleur qui est celui qui s’amuse et fait son occupation ordinaire de prendre et capturer les petits oiseaux. Autrefois les enfants dans les campagnes étaient d’habiles oiseleurs.

Un drôle d’oiseau est un individu peu recommandable ou au moins singulier, un peu louche voire inquiétant. La vantardise est un sens inclus dans cette qualification. C’est un vilain oiseau lorsque la personne est déplaisante. Ceci devient vite une question : « Qu’est-ce que cet oiseau là ?« . On donne des distances à vol d’oiseau, toutefois en armoirie on désigne sous cette même association de mots, deux ailes d’un oiseau placé sur un blason. Car il est mis en cage lorsqu’un prisonnier s’évade on peut dire que l’oiseau s’est envolé. À vue d’oiseau c’est regarder très haut, termes désignant par ailleurs une peinture ou un dessin lorsque ces illustrations sont réalisées comme si on voyait les choses depuis les airs. Lorsqu’il qualifie une personne nous l’avons déjà vu, ceci peut être faiblement négatif, un peu comme s’il y avait un doute sur la qualification, mais cette qualification devient positive lorsqu’on parle d’oiseau rare, on dit encore, dénicher l’oiseau rare.

Attribué à des oiseaux, il qualifie des groupes d’oiseaux comme les oiseaux marins, les oiseaux de paradis ou paradisiers (initialement l’Oiseau du Paradis désignait une constellation visible dans l’hémisphère austral), les oiseaux de proie qui sont les rapaces. Un canard sauvage était désigné sous la notion d’oiseau de rivière. L’Oiseau de Junon est le paon, l’Oiseau de Jupiter, déjà attribué à Zeus est l’aigle, l’Oiseau de Minerve la chouette, l’Oiseau de Pallas, le hibou et l’Oiseau de Vénus, la colombe. De tels « oiseaux » sont utilisés dans les poésies anciennes.

La fauconnerie foisonne de manières oubliées de nommer les oiseaux de proye, c’est à dire ceux qu’on peut dresser à prendre des proies, réduit depuis à la notion de rapaces et synonyme d’oiseaux de proie. On dit aussi chasser à l’oiseau. L’oiseau niais est celui qui n’est pas dressé et qu’on prend au nid, l’oiseau branchier n’est encore que trop jeune et ne vole que de branche en branche, l’oiseau sor n’a pas encore mué, l’oiseau hagard reste encore farouche, et il peut être oiseau de bonne ou de mauvaise affaire selon qu’il est docile ou farouche. L’oiseau de poing est celui qui répond promptement à se poser sur le poing du fauconnier, se distinguant de l’oiseau de leurre qui fond sur le leurre avant de se poser sur le poing. Le faucon ou falco est l’oiseau aux ailes recourbées en faux (latin : falx), source étymologique de ce nom attribué de manière généralisée à l’ensemble des rapaces utilisé en fauconnerie. Les oiseaux qu’on ne sait dresser à la chasse sont qualifiés d’oiseaux vilains, poltrons ou tripiers. Celui qui revient sans la proie est dit oiseau despiteux (dépiteux).

On désigne vite pour oiseaux de mauvais augure, un oiseau de nuit. Les Anciens et les augures, en effet interprétaient le vol ou le comportement des oiseaux. On parle aussi d’oiseau de malheur. L’oiseau de voirie s’oppose, avec aucun sens dérivé particulier, comme étant un oiseau de jour. Si petit à petit l’oiseau fait son nid, les choses doivent se faire peu à peu et demandent patience. Ce n’est pas viande pour vos oiseaux, veut dire que cela ne vous est pas destiné, mais c’est pour des gens de qualité. L’homme qui a battu les buissons et un autre a pris les oiseaux, signifie que si le premier a travaillé, le second a finalement profité de ce travail. Un homme est comme un oiseau sur la branche, s’il n’a pas de logement, d’emploi ou de fortune. Il est battu à l’oiseau, lorsque ses malheurs s’accumulent et lui ont fait perdre tout courage, en particulier si quelqu’un s’est acharné à nuire à cette personne. En Belgique, être un oiseau pour le chat, signifie être de constitution fragile, en particulier si on parle d’un enfant, mais aussi se trouver dans une situation périlleuse, sous l’emprise du plus fort. Si on parle de grande cage pour un petit oiseau, cet homme de peu de considération est trop bien logé. On dit d’un oiseau qui a reçu un coup et ne peut plus voler correctement (coup dans l’aile), l’oiseau en a dans l’aile ; cet homme a perdu la santé ou la fortune. Un bel oiseau est ironique et une manière de mépriser quelqu’un. Un oiseau de passage, est une personne qui ne s’installe nulle part, si l’oiseau n’y est plus, on cherche quelqu’un qu’on ne trouve pas, on le regrette et il est possible de dire l’oiseau s’est envolé. Si on l’attrape là où il se cache, on prend l’oiseau au nid. L’oiseau de nuit, n’est pas péjoratif et désigne quelqu’un qui vit la nuit, mais cette idée peut rapidement être connotée avec les activités parfois louches qui se déroulent alors. Avoir un appétit d’oiseau consiste à manger très peu comme à la critique ou la surprise de celui qui le dit : il mange comme un oiseau.

De la Huppe, onomatopéïque depuis le chant de cet oiseau, sa réputation de saleté, donne sale huppe, sale hoppe et salope ce qui désignait au départ une femme crasseuse, mais qui a pris un sens hautement péjoratif. Autre nom aussi au chant de l’oiseau, Coucou, donne le cocu qui désigner des amants adultères ou par antithèse le mari trompé, certainement par mélange de sens avec le mot coquin. Le coquin désignait au XIIe, un gueux et ce, jusqu’au XVIe siècle, avant de prendre une désignation plus espiègle. Plus gentiment, le Paon qui pourrait à l’origine du mot panneau, qui arbore une information.

En dernier, j’ai réservé l’idée de s’insulter, se donner des noms d’oiseaux. Le sens pas très sympathique de nom d’oiseau se trouve de manière plus ou moins critique dans tête de linotte, directement cervelle d’oiseau ou poule mouillée pour une personne couarde, plus chez une femme qu’on désigne comme une bécasse, voire une bécassine. Bécassine est devenu un personnage de bande dessinée au début du XXe siècle, naïve et un peu sotte ainsi qu’un peu ronde à la fois. Un vautour est une personne de comportement rapace, l’étourneau et l’étourdi ont la même racine étymologique, une grue est une prostituée, c’est aussi une poule, pas toujours péjoratif, car ma poule, ma cocotte est plutôt affectif. Les désignations triple-buse, qui est sot (un peu comme la bécasse), ou le butor, une personne grossière, rustre, à la limite du goujat, ne sont plus guère utilisés. Les Autruches étaient selon Pline (~50) les animaux les plus stupides du monde, car elles croient paraître invisible en plongeant leur tête dans le sable (c’est en fait une illusion qui paraît lorsqu’une autruche se nourrit au sol, à distance dans une ambiance de brume de chaleur !) . En découle les expressions faire l’autruche ou pratiquer une politique de l’autruche, bien connues. Un canard boiteux est inefficace et le dindon de la farce ou le pigeon est celui qui se fait pigeonner, à savoir berner. Le corbeau est celui qui diffuse des messages anonymes. La personne qui est fière comme un coq, est orgueilleuse, mais parfois cette fierté n’est pas péjorative et chouette, c’est chouette et positif. Mais ce n’est pas le cas d’une vieille chouette, laide et acariâtre. Donner des noms d’oiseaux n’est pas une insulte suprême, d’ailleurs dans le lexique il n’y en a presque pas. Il s’agit d’une insulte amicale, presque d’ordre affectif, ironique ou amusée, voire politiquement correcte. Dans le domaine politique c’est souvent d’ailleurs une manière d’insulter son adversaire sans utiliser un seul mot d’insulte ! Toutefois le contexte, le ton et le sens peuvent venir durcir l’idée, y compris dans la manière de dire traiter de noms d’oiseaux.

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Certains ornithologues anglophones sous l’impulsion de l’American Ornithological Society envisagent depuis la mise en place d’un Comité « bien pensant » de purger les noms anglais d’oiseaux, soit parce qu’ils mettent en valeur une personne comme Audubon, soit qu’ils traitent de noms d’oiseaux, certains oiseaux. On bascule dans un système où rendre honneur à une personne qui a pris une place importante dans l’histoire de l’ornithologie par exemple, ou, par hasard disons-le, n’est plus politiquement correct. Je lis bien Because birds don’t need... honorific common names. Ceci perpétuerait, je lis encore, « le colonialisme et le racisme » associé avec certains noms : voyez-donc ici. Blanchir les noms d’oiseaux – oups c’est raciste non (!) – n’est-ce pas noircir (bis !) des tableaux qui ne le sont pas. Le purgatoire n’est-il pas le début du diabolisme, le grue cendrée est-elle péripatéticienne ? Les promenades des péripatéticiens perdent en noblesse ce que le Lycée nous a enseigné. Faudrait-il étendre ce projet digne d’un autodafé et d’un retour de l’Inquisition aux noms scientifiques ? Il faudrait peut-être remplacer le terme Bird, isn’t it, car birding ne signifie-t-il pas aussi aller courir les filles, chasser la gueuse et en particulier détrousser les filles de joie. You are a strange bird ! A quand la dissolution de la Audubon National Society ? Faut-il rendre à César ce qui appartient à Vercingétorix ? Laissez déliées les langues, les langues d’oiseau si ce sont de bonnes pâtes, donnent du piment aux termes de ce discours. Ne répétez pas ce que je viens de dire car vous sombreriez dans le psittacisme… bel envol !

« Est-ce qu’on sait ce que c’est qu’un pinson
D’ailleurs il ne s’appelle pas réellement comme ça.
C’est l’homme qui a appelé cet oiseau comme ça
Pinson pinson pinson pinson.
Comme c’est curieux les noms. »

Dans ma maison – Jacques Prévert (Parole 1945).

Démo des maux des mots

Cyrille Deliry – Niort le 4 novembre 2023

  1. La séquence étymologique spéculative suivante est proposée h2éwis en proto-indo-européen (oiseau), awis en proto-italique (oiseau), ou avis en latin (présage, augure, oiseau), avicellus en bas latin (petit oiseau) ou avicella en latin (petit oiseau), aucellus en latin tardif ([petit] oiseau, moineau), oisel en ancien français (oiseau), oiseau en français – [source] transmise par Michel Bertrand (Quebec, in litt. du 11 novembre 2023).  ↩︎